20 Mai 2017
Et encore une traduction ! Il s'agit d'un article tiré du "Catholic Wold Report" publié le 31 Janvier 2017, écrit par le R.P. Peter M.J. Stravinskas. Traduit par mes soins.
Vous pouvez retrouver ledit article en cliquant ici d'une main curieuse et assurée.
Cet article tombe d'autant mieux que j'avais envisagé d'écrire un article consacré à cette même question. Etant tombé par hasard sur cet article et estimant qu'il disait mieux que je n'aurai pu moi-même ce que j'aurais voulu dire, j'ai décidé de le traduire et de le soumettre à votre avis. De plus, il est récent, arrive en un temps où l'on ne se pose plus tellement ce genre de questions, et où les seuls enrichissements envisagés ne se conçoivent (surtout en milieu "tradi") qu'à sens unique, de la forme extraordinaire vers la forme ordinaire. Ce texte a donc le mérite de rappeler que les apports de la "Nouvelle messe" ne sont pas insignifiants ou négligeables, loin de là.
Amusez-vous bien et bonne lecture !
Dans Summorum Pontificum, le Pape Benoit XVI espérait que la célébration des formes ordinaires et extraordinaires de la messe aboutirait à un « enrichissement mutuel ». Alors quels seraient les éléments les plus sains de la forme ordinaire qui pourraient bénéficier à la forme extraordinaire ?
Rev. Peter M.J. Stravinskas
En 2007, le Pape Benoit XVI promulgua le Motu Proprio Summorum Pontificum dans lequel il accordait une plus grande étendue aux permissions antérieures du Pape Jean-Paul II concernant la célébration de la Sainte Messe selon le Missale Romanum de 1962. Dans la lettre du Pape qui accompagnait le Motu Proprio adressée aux Evêques du monde catholique, il exprimait la conviction que la disponibilité de l'ancien rite (appelé aujourd’hui la « forme extraordinaire ») serait « mutuellement enrichissante » pour la forme extraordinaire et pour la forme « ordinaire » de la Messe. Il apparaîtrait que le Pontife visait un processus organique par lequel une forme « nouvelle et améliorée » de la Messe romaine verrait le jour. Beaucoup de prêtres et de liturgistes ont identifiés plusieurs éléments de la forme extraordinaire (FERM) qui seraient utiles pour augmenter la « sacralité » de la forme ordinaire (FORM). En revanche, quand la conversation passe à la manière dont la FORM pourrait exercer une influence positive sur la FERM, il n'est pas peu rare d'entendre soulever de sérieux doutes à ce sujet. Cette réponse me fit penser à la fameuse question rhétorique (et probablement sarcastique) de Tertullien quand on lui demanda de considérer la valeur de la philosophie pour la théologie : « Qu'est-ce qu'Athènes a à voir avec Jérusalem ? ».
Depuis la promulgation de SP (Summorum Pontificum, ndlt), quand je célèbre selon la FERM, des pensées surgissent en moi au sujet d'utiles adaptations. Je suspecte que beaucoup de mes pensées étaient également dans les esprits des Pères de Vatican II, dont le premier document fut leur Constitution sur la Sainte Liturgie, Sacrosanctum Concilium. Ce document donnait une structure théologique pour le renouveau liturgique, né du mouvement liturgique couvrant environ un siècle en préparation de Vatican II. En plus des bases théologiques, les évêques ont également identifié des endroits où l'on avait besoin de modifications et de développements ; il faut noter que Sacrosanctum Concilium remporta une approbation presque unanime (même de la part de Mgr Marcel Lefebvre). Il est certain que beaucoup de ce qui émergea en 1970 (et après) ne fut pas envisagé le moins du monde par les Pères conciliaires.
Ceci étant dit, de quelle manière la FERM pourrait-elle bénéficier de certains des aspects les plus sains de la FORM ?
Adoption du lectionnaire révisé.
Beaucoup de gens ne se rendent pas compte que, à la veille de Vatican II, non seulement nous n'avions qu'un seul cycle de lectures dominicales, mais nous n'avions pas de lectionnaire pour la semaine du tout ! Résultat, soit les lectures du dimanche étaient répétées ou celles des « communs » des saints étaient employées.
Par conséquent, Sacrosanctum Concilium appelle clairement à une extension du lectionnaire, le mettant en mesure de donner au Peuple de Dieu une plus grande exposition à la Parole de Dieu.
La proclamation de la majeure partie du Nouveau Testament et de vastes parties de l'Ancien Testament dans le lectionnaire actuel est l'un des achèvements les plus positifs de la réforme liturgique post-conciliaire – à tel point que les dénominations protestantes les plus courantes ont adoptées notre lectionnaire.
Incorporation de formulaires de Messes supplémentaires.
Le Missel de 1970 (et ses éditions suivantes) contient une riche collection de textes eucologiques, puisés du vaste trésor liturgique de l'Église. Beaucoup des oraisons ont un "pedigree" datant du IVe siècle. Le Pape Benoit XVI dans Summorum Pontificum a même suggéré la possibilité d'intégrer ces prières dans le Missel de 1962, surlignant particulièrement le déploiement de belles préfaces qui composent le Missel de la FORM (par contraste avec le nombre très limité dans le Missel de la FERM).
Étendre les possibilités pour la solennité.
La FERM a clairement définie les catégories pour la célébration de la Messe : Messe basse, Missa cantata, Messe solennelle. La forme normative est la Messe solennelle, où l'on trouve de nombreuses fonctions ministérielles, avec de l'encens et du chant. La Messe basse (qui, aux états-Unis, était l'expérience liturgique la plus commune et familière) n'a aucune de ces caractéristiques. La Missa cantata est une tentative d'avoir au moins un peu de cette solennité, même sans les ministres désirés.
La FORM n'a pas de catégories qui s'excluent mutuellement à ce point, permettant ainsi d'incorporer autant de solennité que possible. Et ainsi, même lors d'une messe quotidienne avec un seul prêtre célébrant, on peut chanter toutes les prières et user de l'encens. Il est regrettable que cette ouverture ne soit pas utilisée plus souvent – même le dimanche. Cependant, ce serait un bon élément à inclure dans le menu liturgique de la FERM.
Élimination des doublets.
Dans les messes chantées de la FERM, le célébrant est prié de réciter silencieusement les textes qui sont chantés par le Chœur et/ou l'assemblée (par exemple, l'introït, le Gloria, le Credo, le Sanctus). Dans la célébration de la Sainte Messe, le prêtre va ici ou là de multiples façons : à certains moments, il prie comme l'un des fidèles ; à d'autres moments, il prie In persona Christi Capitis (dans la personne du Christ-Tête). Quand il agit selon la première façon, il n'y a aucune raison théologique pour lui de ne prier en union avec toute l'assemblée. Ceux qui assistent habituellement à la FERM connaîtront l'étrangeté de cette pratique actuelle des rubriques, spécialement lorsqu'un texte demande un geste de la part du prêtre (par exemple le signe de Croix) qui n'est pas « synchronisé » avec ce qui est chanté puisque la schola/assemblée n'en est pas encore là.
Restauration de la procession d'offertoire et de la prière des fidèles (prière universelle, ndt).
Ces deux rituels ont été spécifiquement identifiés par Sacrosanctum Concilium comme des éléments à restaurer. Ici, on met l'accent sur « restauré » ; contrairement à certains autres rites introduits dans la liturgie post-Vatican II, ces deux là ont pour eux une vénérable tradition. En effet, les prières d'intercession de la liturgie du Vendredi Saint sont le témoin de l'antiquité de la prière des fidèles. Saint Justin, Martyr, est un témoin plus ancien encore de la procession d'offertoire.
Réordonner le rite d'envoi.
Le rite d'envoi de la FERM est décevant en ce sens que le prêtre renvoie l'assemblée avant de lui donner la bénédiction, suivie du Dernier Évangile. La FORM a une conclusion plus logique, dans la mesure où « l'Ite Missa Est » est vraiment le dernier mot de la messe. Peut-être le Dernier Évangile pourrait-il être retenu comme texte optionnel, étant donné sa valeur historique.
Déplacer la « fractio ».
Dans la FORM, la « fraction du Pain » a lieu pendant l'Agnus Dei, qui est l'hymne par excellence à « l'Agneau qui fut immolé ». L'action et le texte de ce rite dans la FERM ne se correspondent pas entre eux aussi bien.
Affirmer clairement que l'homélie est une vraie partie de la Sainte Liturgie.
Enlever le manipule et poser la barrette pendant l'homélie (avec le Signe de Croix qui l'ouvre et l'achève) revient à déclarer que l'homélie ne fait pas partie de la Messe, qu'elle n'est qu'une « interruption ». Au contraire, l'homélie est une partie essentielle de la Sainte Liturgie. Bien plus, si ce n'était pas le cas, alors tout chrétien baptisé pourrait la faire !
Maintenir l'intégrité du Sanctus.
Quand on chante des Messes polyphoniques, il n'est pas rare que le Benedictus soit séparé du reste du Sanctus, en étant chanté après la Consécration. Il s'agit évidement d'une accommodation au problème de la performance musicale qui jette tant d'ombre à la liturgie elle-même qu'elle ne peut être jouée sans créer un délai indu dans la célébration. Si une composition musicale avait cet effet, il tomberait certainement sous la condamnation de Tra le Sollecitudini du Pape Pie X. Au-delà de ce point, si la musique est utilisée pour « combler » le silence après la Consécration, cela va à l'encontre de la logique d'un canon inaudible, évoquant un sens plus profond du mystère.
Adopter les rubriques de la FORM pour le rite de communion.
Si le Pater Noster est la prière de la famille de l'Église à son Père céleste, pourquoi l'assemblée toute entière ne pourrait-elle pas le prier ? Bien sur, les normes de Benoit XVI dans Summorum Pontificum le permettent déjà, mais c'est une option que je n'ai vue que rarement. Il y aurait également plus de sens à ce que les autres prières du rite de communion soient récitées distinctement ou chantées à haute voix (comme dans la FORM) avec les prières privées de préparation du prêtre dites « sotto voce » (comme, encore une fois, dans la FORM).
Faire face au peuple quand on s'adresse au peuple ; faire face à Dieu quand on s'adresse à Dieu.
Nous avons utilisé cette formule pour justifier la célébration de la Messe ad orientem dans la FORM, c'est-à-dire, faire face à l'est liturgique à partir de la Liturgie de l'Eucharistie. L'inverse est également vrai : quand on proclame les lectures de l'Écriture, tournez-vous vers ceux à qui ces textes sont adressés. Quelque soit les origines historiques de la position vers l'Est pour l'Épître, et vers le Nord pour l'Évangile à la Messe solennelle, elles ne communiquent pas vraiment la signification du rite qui est célébré.
Unir les calendriers de la FORM et de la FERM.
C'est un appauvrissement pour la FERM que de ne pouvoir commémorer les saints canonisés depuis 1962 – un point qui fut aussi soulevé par Benoit XVI dans Summorum Pontificum. Certains changements du calendrier étaient bons (par exemple, faire de la Solennité du Christ-Roi le dernier dimanche de l'année liturgique) alors que d'autres détruisaient des traditions de longue date (par exemple l'Épiphanie ou l'Ascension). Quoi que l'on pense au sujet de l'un ou l'autre calendriers (et aucun calendrier ne sera jamais parfait), utiliser un système à double calendrier témoigne d'une division, soit l'antithèse même de ce qu'une bonne liturgie devrait être.
Modifier les rubriques.
Sacrosanctum Concilium appelle à une modification des signes et des symboles qui font double emplois ou qui sont obscurs. L'on pense immédiatement aux multiples Signes de Croix pendant le Canon. De même que la FORM admet une sorte de laxisme, la FERM peut pencher vers un rubricisme ou une rigidité malsaine. In medio stat virtus ! (la vertu se tient au milieu).
Renommer les deux parties principales de la Messe.
Continuer à appeler la première partie de la Messe la « Messe des Catéchumènes » est une forme d'archéologisme dénoncé par Pie XII dans Mediator Dei. Nous n'avons pas renvoyé les catéchumènes (ou les pénitents) depuis des siècles (sauf dans des paroisses stupides ou les chrétiens baptisés se préparant à recevoir la pleine communion sont « renvoyés »). La nomenclature post-conciliaire est plutôt exacte : Liturgie de la Parole/Liturgie de l'Eucharistie.
Voici mes recommandations pour « l'enrichissement mutuel » des apports de la Forme ordinaire pour la Forme extraordinaire. J'espère que ceci aide à répondre à la version liturgique contemporaine de la question de Tertullien.
Ainsi s'achève l'article. En guise de conclusion, nous nous contenterons de signaler deux autres points d'enrichissement de l'ancien missel:
Tout d'abord, l'extension du rite de paix, l'osculum pacis à toute l'assemblée, en suivant le modèle du monde monastique: la paix est transmise du prêtre aux ministres, des ministres aux servants, ces derniers allant ensuite la transmettre aux moines se tenant dans les stalles. La paix se transmet en saisissant les avants-bras ou les épaules de la personne et en donnant l'accolade. Notons que ce point concerne tout autant la forme extraordinaire (où l'osculum est réservé aux seuls ministres) que la forme ordinaire (où ce rite, superbe en lui-même, tourne rapidement à l'embrassade et aux effusions ridicules et hors de propos). Si l'on en croit le RP Simon Noel, OSB de l'Abbaye de Chevetogne, les moines ayant reçus la paix en dernier la transmettent ensuite à l'assemblée. Voilà qui mérite examen.
Enfin, la concélébration, au moins dans certaines circonstances. Alors que dans la FORM cette option est systématiquement choisie lorsqu'il y a plusieurs prêtres (bien que rien n'y oblige), elle est inexistante dans la FERM (à l'exception des ordinations presbytérales ou épiscopales). Comme le dit lui-même l'auteur, In medio stat virtus ! Sur ce point, l'attitude de l'Abbaye de Fontgombault et de ses filles est d'un grand intérêt: ayant adopté l'ancien missel, ces abbayes n'en ont pas moins conservé certaines modifications du Concile Vatican II (parmi lesquelles on retrouve la plupart des mesures proposées ci-dessus), dont la concélébration dans certaines circonstances (à Fontgombault, elle a lieu à Noel, au Jeudi Saint et à Pâques, sans compter des occasions spéciales comme une bénédiction abbatiale).
Pour finir, il faut remercier l'auteur de cet article courageux qui suscitera certainement de fructueux débats. En effet, bien que l'on ait le droit de n'être pas d'accord avec lui (c'est mon cas sur certains points), il faut souligner que pour le moment, ce fameux enrichissement mutuel n'était guère conçu qu'à sens unique (quand il était seulement conçu). Un tel article a au moins le mérite de montrer qu'il ne doit pas en être ainsi.