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Réflexions catholiques de Socrate d'Aquin.

Blog consacré à des réflexions sur l'Eglise catholique et tout ce qui s'y rattache. Je ne me prétend ni "conservateur" ni "progressiste", mais seulement un humble catholique, qui espère, par ce blog, apporter matière à réfléchir sur l'Eglise.

Le chant du cygne de l'orthodoxie française

Le chant du cygne de l'orthodoxie française

Dès lors que l'on professe qu'il existe une seule Eglise du Christ, que celle-ci subsiste aujourd'hui de manière visible grâce à la Succession apostolique, et que conséquemment les autres Eglises sont d'une manière ou d'une autre des groupes « schismatiques », on n'a plus guère le choix qu'entre l'orthodoxie et le catholicisme ; les deux Eglises répondent en effet aux critères exposés ci-dessus, et prétendent toutes deux être l'unique continuation de l'Eglise primitive. Dès lors, ce que l'on imagine facilement est arrivé : conflits sans nombre entre les théologiens des deux Eglises pendant des siècles, pour prouver la légitimité de sa propre Eglise et accuser l'autre de s'être écarté de la Tradition apostolique.

L'un des avantages évidents de l'Eglise catholique sur l'orthodoxie est précisément sa catholicité, dans la mesure où elle rassemble en son sein un grand nombre de peuples et de langues ; plus encore, elle intègre toutes les grandes traditions spirituelles, culturelles, liturgiques, etc. tant orientales qu'occidentales. À l'inverse, il semble que l'orthodoxie soit limitée à la tradition byzantine, certes déployée sous diverses formes (grecque, serbe, roumaine, russe...), mais fondamentalement la même.

On ignore cependant qu'un effort fut réalisé au cours du XXe siècle pour importer l'orthodoxie en France, de diverses manières. Quelles sont les sources d'une telle entreprise ? Comment a-t-elle pu advenir en terre gauloise ? Et quels en sont les fruits aujourd'hui ?

C'est ce que ce modeste article a la prétention d'étudier.

Cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru, Paris

Cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru, Paris

Sur les pavés, la Russie.

Orthodoxie. Ce nom évoquera à certains la pureté de la foi, la rectitude de la doctrine, la virginité de la louange (beati sunt). Mais pour le commun des mortels, ce mot renvoie éventuellement à ces chrétiens originaires de ce lointain et mystérieux Orient ; il évoque l'image d'un pope psalmodiant recto tono des prières en slavon, grec ou roumain, avec profusion d'encens, dans une église tapissée d'icônes splendides, un diacre débitant d'immuables litanies ponctuées de Kyrie eleison, de vieux moines à la barbe fournie, un patriarche ami de Vladimir Poutine, j'en passe et des meilleurs.

Il n'y a pas si longtemps, toutes ces choses ne se pouvaient vraiment vérifier. Les Eglises orthodoxes restaient des réalités lointaines, mystérieuses et cachées, ne serait-ce qu'en raison de la distance et de la langue. À cela, s'ajoutait le schisme qui sépara durablement les Eglises d'Orient de celle de Rome, avec laquelle "en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout" (Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies).

Les choses commencèrent à changer au milieu du XIXe siècle. À partir de cette date, l'amitié franco-russe se développa, jusqu'à ce que la très anticléricale IIIe République et le très antiromain Empire de Russie ne forment une alliance militaire. Dès lors, les lieux de culte catholiques latins, proscrits depuis longtemps, commencèrent à éclore dans les grandes cités de la Russie tsariste. Parallèlement à cela, de petites communautés russes construisirent des églises, à Biarritz, Nice et surtout à Paris, avec la construction de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru.

Il nous est surement difficile d'imaginer la surprise de nos ancêtres en voyant la construction de ces bâtiments. Nos sociétés promeuvent à ce point la différence que la diversité des cultes (jusqu'aux plus farfelus et aux plus dangereux) nous semble une évidence, en un temps où la pluralité est revendiquée comme telle, pour le meilleur et pour le pire. Toutefois, il faut imaginer que la construction de ces églises creusait une brèche dans le mythe déjà ébranlé de la France catholique, fille aînée de l'Eglise, etc. Jusqu'ici, pour les français, il n'y avait qu'une seule religion, et c'était celle de l'Eglise catholique. Certes, il y avait par-ci par-là des juifs et des protestants, mais ils demeuraient assez minoritaires, et surtout, peu présents dans les grandes villes et concentrés dans certaines régions particulières (notamment l'Alsace pour les juifs). Or voilà qu'une Eglise orientale (donc exotique en ces temps où « l'orientalisme » fait rage) s'installe de façon visible, voire ostentatoire, au plein cœur de la capitale du pays. Il y avait de quoi être surpris, et attiré par la curiosité que représentait ce bout de Russie au cœur de la France, comme en témoigne cette déclaration de l'immense Émile Zola :

« Je ne reviens pas de Moscou ni de Saint-Pétersbourg, mais seulement de la rue de la Croix-du-Roule (ancien nom de la rue Daru). Là, entre le parc Monceau et l’Arc de triomphe de l’Étoile, se dresse une église russe connue de tout Paris pour ses belles murailles blanches et ses coupoles dorées. »

Néanmoins, cette présence orthodoxe en France demeura assez anecdotique. L'engouement cessa lorsque la cathédrale fut considérée comme « faisant partie du paysage ». Pour autant, cet événement n'est pas sans importance, ne serait-ce que parce qu'il facilita le développement d'une orthodoxie qui se voulait française, comme on le verra plus loin.

 

Maxime et Eugraph Kovalevsky, fondateurs de la Confrérie Saint-Photius.Maxime et Eugraph Kovalevsky, fondateurs de la Confrérie Saint-Photius.

Maxime et Eugraph Kovalevsky, fondateurs de la Confrérie Saint-Photius.

La Confrérie Saint-Photius : une première tentative "d'orthodoxie française".

Une seconde étape vint avec cette crise sans précédent que constitua la Révolution russe. Lorsque les bolcheviques prirent le pouvoir, de nombreux russes (dits « russes blancs ») durent quitter leur pays ; nombre d'entre eux trouvèrent refuge à Paris, où il existait déjà de petites communautés russes, notamment en raison des spectaculaires églises qui avaient fleuri au siècle précédent.

Dans un premier temps, les émigrés entendirent reproduire en France la vie religieuse qu'ils avaient connue en Russie. Pour eux, célébrer en français aurait semblé totalement absurde, ne serait-ce que parce que l'orthodoxie est considérée comme la religion par excellence du pays (au point où il fallut attendre Nicolas II pour que d'autres religions, notamment le catholicisme, obtiennent droit de cité en Russie). De plus, nombreux étaient ceux qui soutenaient que le régime soviétique n'allait pas tarder à s'effondrer, rendant possible un retour à la Mère-Patrie.

Les choses changèrent avec le temps. Il apparu de plus en plus clair que le régime bolchevique était là pour rester, et qu'il allait falloir se résoudre à s'installer durablement. D'où une "gallicisation" progressive des premières vagues d'émigrés ; à partir de quoi, certains envisagèrent la possibilité d'une célébration en français de la liturgie byzantine en usage dans l'Eglise russe-orthodoxe.

Cette idée fut favorisée par un petit mouvement de jeunes émigrés russes, la Confrérie Saint-Photius. Parmi eux, les frères Maxime et Eugraph Kovalevsky, dont nous aurons l'occasion de parler...

Voici le manifeste de cette confrérie :

« Nous proclamons et confessons que l'Église orthodoxe est la seule, la vraie Église du Christ. Qu’elle n'est pas seulement orientale, mais qu’elle est l'Église de tous les peuples de la terre, de l'orient, de l'occident, du nord et du sud. Que chaque peuple, chaque nation a son droit personnel dans l'Église orthodoxe, sa constitution canonique autocéphale, la sauvegarde de ses coutumes, ses rites, sa langue liturgique. Unies dans les dogmes et les principes canoniques, les Églises épousent le peuple du lieu.

Nous nous opposons et nous condamnons toute tentative :

1. de limiter l'Église orthodoxe

2. de séparer les Églises les unes des autres

3. de soumettre une Église à une autre Église plus puissante

Nous confessons l'unité dans la multiplicité et la liberté, au Nom du Père du Fils et du Saint Esprit.

Amen. »

Autour de ce mouvement s'effectuèrent certaines conversions (très limitées, car ses membres récusaient tout prosélytisme), principalement d'intellectuels ou d'anciens clercs ayant quitté l'Eglise catholique. Regroupés dans un premier temps autour de la paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève, dans le cinquième arrondissement, ils procédèrent à une traduction en français de la liturgie byzantine, à laquelle s’attela Maxime Kovalevsky, compositeur surdoué. De sorte que dès le début des années 1930, la divine liturgie était habituellement célébrée en français dans une paroisse dépendant pourtant du patriarcat de Moscou (aujourd'hui, la paroisse est intégralement francophone).

Il serait trop long de raconter l'histoire des développements respectifs de ce mouvement. Nous nous bornerons à signaler qu'on peut distinguer deux branches en son sein.

La première, nous l'avons vu, visait à une adaptation en France de la liturgie et de la théologie byzantines. Il fallait rendre accessible un rite qui serait devenue obscur si on avait conservé une langue vite devenue inintelligible par beaucoup de descendants d'immigrés. Toutefois, les réformes s'arrêtaient là, et l'on n'allait guère plus loin. Si la langue des célébrations devenait le français, le cadre restait fondamentalement greco-slave (c'est un peu comme si l'on avait décidé de célébrer la « Messe de S. Pie V » en français, sans rien changer d'autre). On notera d'ailleurs que la motivation essentielle des traducteurs (Kovalevsky exceptés) n'était pas d'inculturer la foi, mais de s'assurer qu'elle serait préservée au cours des années à venir. La célébration en français n'était pas vu comme un but en soi, mais comme une nécessité faisant loi dont, au fond, on se serait bien passé.

La seconde entendait aller plus loin. La Confrérie Saint-Photius estima que l'adoption du rite byzantin restait un import oriental dans un pays occidental, dont les racines demeuraient (à leurs yeux) orthodoxes et partant, respectables. L'un des principes fondamentaux auxquels ils entendaient demeurer attachés était la légitimité des traditions propres de chaque Eglise particulière. Dès lors, ils décidèrent d'adopter le « rite des Gaules », une reconstitution archéologique de l'ancienne liturgie gallicane, fondue sous Charlemagne avec la liturgie romaine. Dans cette vision, la célébration en français devenait un but en soi. Cette tentative d'orthodoxie « occidentale » aboutit à la création d'une Eglise sui iuris, nommée « Eglise catholique orthodoxe de France », dont le premier évêque ne fut autre qu'Eugraph Kovalevsky, qui fut consacré évêque en 1965 sous le nom de Jean de Saint-Denis. Après plusieurs déboires (cette Eglise étant passée de la tutelle de Moscou à celle de la Roumanie en passant par l'Eglise orthodoxe russe hors-frontières), elle finit par se retrouver coupée de communion avec le restant des Eglises orthodoxes, ce qu'elle est encore à ce jour.

 

Célébration de la Messe au sein de l'Eglise catholique orthodoxe de France.

Célébration de la Messe au sein de l'Eglise catholique orthodoxe de France.

Expériences monastiques diverses et variées.

Une deuxième vague de ce mouvement peut être décelée dans les années 1960 ; à l'inverse de la précédente, elle n'est pas principalement le fait des émigrés, mais de français, souvent d'origine catholique passés à l'orthodoxie.

C'est notamment le cas du père Placide Deseille. Entré à l'abbaye cistercienne de Bellefontaine, il fonda dans les années 1960 un petit monastère de rite byzantin. Puis, en 1977, il décida avec sa communauté de devenir orthodoxe, et fut rebaptisé au monastère de Simonos Petra, au Mont Athos. Après quelques années de vie sur la Sainte Montagne, il revint en France pour y fonder des monastères orthodoxes dépendant de Simonos Petra ; au total, trois metochia (dépendances) furent fondés, dont deux monastères féminins. La liturgie byzantine (suivant l'usage athonite) y est célébrée en français, ce qui demanda un long travail d'adaptation, tant pour le chant que pour les différents rituels.

C'est aussi le cas du monastère de Cantauque (qui relève du patriarcat de Roumanie), fondé par d'anciens membres de la Communauté de la Théophanie (communauté nouvelle née dans le sillage du concile Vatican II, qui alliait à une spiritualité charismatique une vie liturgique fidèle au rite byzantin, célébré en français). Il s'est attelé à une adaptation du chant byzantin à la langue française, adaptation très réussie par ailleurs.

Canon pascal de saint Jean Damascène, adapté en français par la Communauté de la Théophanie.

Échec de ce mouvement.

Cette trop longue présentation historique a entendu montrer la progression d'un mouvement « orthodoxe français », qui recoupe en fait plusieurs courants distincts (et sans réels liens entre eux) d'inculturer l'orthodoxie en France. En son sein, on peut distinguer deux courants. Le premier vise à importer en France des pratiques rituelles d'origine russe (pour les premières paroisses orthodoxes de langue françaises) ou grecque (pour le P. Deseille), mais en les traduisant en français. Le second, plus ambitieux, entendait se réapproprier une ancienne liturgie occidentale, et en faire un rite orthodoxe à part entière ; ce fut l'effort des frères Kovalevsky et de la Confrérie Saint-Photius.

Du coté du premier courant, on peut contater qu'il n'alla pas sans porter quelque fruit. Les paroisses et les communautés qui furent fondées sont demeurées en place, et aujourd'hui intégralement francophones, aussi bien dans la langue que dans leur composition ethnique. Elles ont déployé un réel effort pour adapter l'antique chant byzantin et la fameuse polyphonie russe à la langue française, et l'on doit reconnaître que le résultat est digne d'intérêt.

Cela étant dit, cette démarche semble vouée à l'impasse : l'effort d'inculturation de ces communautés ne pouvait guère aller plus loin qu'une simple traduction en français de la liturgie greco-slave. Or, l'inculturation n'est pas purement et simplement une affaire linguistique : le fait est que depuis des siècles, la France est un pays latin, membre de la partie occidentale de l'Eglise ; à ce titre, sa liturgie a toujours été sinon celle de Rome du moins une liturgie latine, ce qui implique des pratiques rituelles dépassant le pur et simple problème de la langue (ainsi en est-il de l'Alléluia qui est omis en Carême par les romains, mais non par les byzantins). Et le fait est que le rite byzantin, qu'il soit célébré en grec, russe ou français est intrinsèquement un rite étranger. Que l'on se garde d'accuser l'auteur de ces lignes d'une quelconque xénophobie ou d'un mépris pour la splendide liturgie byzantine, dont il a eu plus d'une fois l'occasion d'admirer la beauté et la profonde richesse ; et que l'on s'en tienne à ce qu'il dit, à savoir que de facto, la liturgie byzantine n'a jamais fait partie de l'histoire de cette nation, qui reste un pays de rite latin. C'est pourquoi traduire en français la liturgie byzantine revient en quelque sorte à adopter une position médiane peu confortable : d'un coté, on entend s'inculturer et s'adapter à un pays différent de celui où ces pratiques rituelles ont fleuries, ne serait-ce qu'en raison de la langue ; de l'autre, on conserve tout de même ces pratiques sans presque les modifier. Cela n'est pas facilité par la situation canonique de ces communautés, qui dépendent toutes de hiérarques orientaux (Patriarcats de Constantinople, Moscou, Bucarest...), dont la plupart des paroisses en France ont conservé l'intégralité de leur patrimoine, y compris linguistique. L'on notera par ailleurs que ces paroisses orthodoxes francophones restent et demeurent une petite minorité : sur l'ensemble des églises orthodoxes (canoniques) de la capitale, seules deux célèbrent intégralement en français ; et comme par hasard, elles sont enfermées dans de petits locaux peu visibles.
 

Paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève, dans le quartier latin, à Paris, une des deux seules communautés orthodoxes francophones de la Ville-Lumière.

Paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève, dans le quartier latin, à Paris, une des deux seules communautés orthodoxes francophones de la Ville-Lumière.

A cet égard, la démarche de la Confrérie Saint-Photius apparaît à la fois plus audacieuse et cohérente, mais beaucoup moins durable. Sans entrer dans les détails de la complexe histoire de l'Eglise fondée par les Kovalevsky, on remarquera que les ruptures de communion qui l'ont laissé aujourd'hui sans situation canonique (tout comme la Fraternité Saint-Pie-X aujourd'hui), on peut dire schématiquement que les difficultés de cette Eglise avec le restant de la communion orthodoxe vinrent de son rite propre, inconnu de l'intégralité des Eglises orthodoxes « historiques », qui lui demandèrent (sans succès) d'y renoncer au profit du rite byzantin. Une fois achevées les batailles canoniques et les conflits théologiques, ne reste plus qu'une petite Eglise extrêmement discrète et peu répandue, et coupée de l'intégralité de la communion orthodoxe. Pourtant, d'un point de vue canonique, il s'agissait sans doute de la démarche la plus cohérente : une seule Eglise par territoire, associée à un pays particulier, doté d'une liturgie propre (en l'occurrence occidentale et latine). Au lieu de cela, cette Eglise ne représente aujourd'hui qu'un très petit nombre de chrétiens, séparée d'une autre Eglise (orthodoxe "canonique") elle-même divisée en différentes juridictions, toutes orientales.

Au reste, on peut considérer que ces tentatives, si fructueuses qu'elles aient été, sont aujourd'hui minoritaires (sans pour autant être exceptionnelles). Et surtout, elles semblent révolues, en raison d'un événement majeur : l'effondrement de l'URSS en 1991. La chute du communisme a permis à l'Eglise orthodoxe russe de sortir des catacombes, ce dont on est en droit de se réjouir, évidemment. Mais cela a eu pour conséquence une tendance que l'on pourrait très schématiquement qualifier « d'identitaire », y compris en France. Les nouveaux orthodoxes de notre Pays s'entendent désormais bien plus comme des orthodoxes en France que comme des orthodoxes français, comme l'étaient leurs prédecesseurs. Ces derniers voulaient restaurer (ou plutôt, en fait, introduire) une orthodoxie locale dans un pays qui était séparé de leur communion depuis des siècles, ce qui passait par un intérêt sincère pour la tradition chrétienne de ce pays, ce qui s'expliquait entre autre par le fait qu'un grand nombre d'entre eux provenaient du catholicisme (ainsi le P. Deseille avait très fréquemment confessé son admiration pour certains mystiques latins modernes, comme sainte Thérèse d'Avilla ou saint Jean de la Croix). Les suivants, sans forcément tomber dans une mouvance identitaire qui leur tend pourtant les bras, semblent beaucoup plus soucieux de préserver leurs traditions en France, et faire de leurs différentes communautés de « petites Russies » en terre française.

On a beaucoup critiqué, et à juste titre, la politique d'uniatisme pratiquée par le Saint-Siège à l'égard des Eglises orientales à l'époque moderne, qui s'est accompagnée d'une sauvage latinisation des traditions orientales. On oublie cependant que l'inverse existe aussi, et que le mouvement décrit par cet article représente, en quelque sorte, un « uniatisme orthodoxe ». A ceci près que celui-ci a échoué, tandis que les catholiques orientaux demeurent, pourvus le plus souvent d'une hiérarchie propre et dont la légitimité fut réaffirmée à plusieurs reprises, notamment à Vatican II.

On peut dire que l'intuition de la Confrérie Saint-Photius était juste en théorie, mais irréalisable dans la pratique (en raison du caractère exclusivement byzantin de la communion orthodoxe) ; à l'inverse, la stratégie des « byzantins francophone » avait de meilleures chances de réussir (et a, de fait, mieux réussie), mais était théologiquement plus bancale ; car au nom de quoi imposer à des chrétiens français une liturgie qui leur est étrangère ? Mais à l'inverse, n'était-il pas chimérique de reprendre un rite (dont on peut d'ailleurs se demander s'il n'est pas au fond une vague reconstitution archéologique d'un rite mélangé à des éléments qui lui sont étrangers) en s'imaginant qu'il serait accepté sans problème par le reste de la communion orthodoxe ?

Consécration de la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité, à Paris, par le patriarche de Moscou. Une célébration majoritairement en slavon, devant un public majoritairement russophone.

Consécration de la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité, à Paris, par le patriarche de Moscou. Une célébration majoritairement en slavon, devant un public majoritairement russophone.

Conclusion.

Au terme de cet article, il nous semble intéressant d'effectuer un certain nombre de réflexions.

D'abord, il nous semble intéressant de noter que ce mouvement présente un point commun avec un autre mouvement liturgique et théologique : le « Mouvement d'Oxford ». Bien qu'ils restent fondamentalement différents, ils se rejoignent sur un point précis : dans les deux cas, il s'agissait de retrouver un aspect de la catholicité de l'Eglise. Dans le cas d'Oxford, il s'agissait d'un retour aux sources, notamment patristiques et liturgiques, du christianisme. Dans celui de l'orthodoxie française, il s'agissait d'une prise de conscience : que l'une des marques essentielles de l'Eglise du Christ était sa catholicité, autrement dit son universalité. Ses grandes figures avaient parfaitement compris que la véritable Eglise du Christ n'était pas, comme telle, liée à telle ou telle culture, mais qu'elle les intégrait et les sanctifiait toutes en son sein.

Ce qu'ils avaient failli à comprendre en revanche était que pour cette raison précise, l'orthodoxie ne pouvait pas être l'Eglise du Christ. Elle est fondamentalement liée à une culture particulière, la tradition byzantine. Cette tradition est évidemment légitime, mais ne saurait en aucun cas s'imposer au détriment d'une autre, qui est tout aussi légitime.

Il est un mal que dénonce fréquemment l'orthodoxie, qui est le phylétisme : une sorte de nationalisme chrétien, qui prétend lier trop étroitement la foi et le pays où s'incarne cette foi. Mais au terme de cette enquête, on peut se demander si ce mal n'est pas en fait intrinsèquement lié à la constitution même de l'orthodoxie ; et partant, si toute tentative d'inculturer l'orthodoxie dans des pays qui lui furent étrangers n'est pas irréalisable ou du moins peu féconde à terme. Dans un cas, le résultat restera fondamentalement « exotique », car le rite byzantin, même en français, reste inconnu et étranger à la culture française, latine depuis des siècles. Dans l'autre, l'archéologisme consistant à exhumer un rite enseveli depuis des siècles (à supposer qu'il s'agisse du même, et non d'un bricolage) risque d'être mal reçu par les orthodoxes « de souche », intrinsèquement byzantins.

Au contraire, l'Eglise catholique n'est pas liée à une culture particulière. En son sein coexistent toutes les traditions liturgiques. Certes, les traditions orientales ont été malmenées par le passé ; elles demeurent extrêmement minoritaires, et sont souvent ignorées voire méprisées par les latins. Mais elles demeurent en communion avec le Saint-Siège et sont pourvues de hiérarchies propres (jusqu'à des diocèses propres en France pour trois d'entre elles) ; plus encore, leur légitimité a été officiellement reconnue, et ces chrétiens pourront toujours répliquer qu'il est tout à fait légitime d'être à la fois catholique et oriental..

Bien sur, ce n'est pas un argument théologique en soi. Un orthodoxe aura beau jeu de répliquer à l'auteur de ces lignes que ces Eglises n'ont pas toujours été amenées à Rome par des moyens charitables, que les romains se sont souvent comportés à l'égard des orientaux avec la délicatesse d'une baleine à bosse et que bien des catholiques orientaux sont aujourd'hui mal en point et dépourvus de hiérarchie aussi bien que d'attention de la part des autorités romaines. Il n'aura certes pas tort ; mais il devra me concéder que si dans la pratique beaucoup reste à faire, tout ceci est possible dans la théorie ; les catholiques byzantins russes par exemple, attendent le rétablissement d'un épiscopat propre, qui n'a toujours pas été restauré, mais que rien n'empêche en théorie, et auquel ne manque que la bonne volonté des autorités romaines.

Du côté de l'orthodoxie en revanche, les choses sont plus compliquées. Les différents patriarcats ont pris une direction fondamentalement « nationaliste », où l'appartenance à telle église orthodoxe entend de plus en plus se confondre avec une appartenance à tel ou tel peuple. Il fut possible jadis d'être à la fois orthodoxe et français, et cela alla de pair avec une grande fécondité intellectuelle (on pense ainsi à Olivier Clément et à Elizabeth Behr-Siegel) ; aujourd'hui, la chose devient de plus en plus difficile, en raison du caractère identitaire de ces Eglises, qui devient de plus en plus prédominant aujourd'hui, de sorte que l'on peut dire, pour simplifier, que pour être orthodoxe, il faut se faire russe, grec, serbe, roumain, etc.

Que retenir alors de ce mouvement orthodoxe français ?

D'abord, son échec. Le mouvement « orthodoxe occidental » n'est plus qu'une petite Eglise sans lien canonique ; quand aux autres communautés (disons « byzantines francophones »), si la plupart subsistent, elles ne semblent pas faire d'émules. Qu'il nous soit permis de voir là un signe : celui que la communion orthodoxe n'est pas au sens strict catholique, mais est nécessairement restreinte à la culture orientale, gréco-slave. À cet égard, le décès au début de l'année de l'archimandrite Placide Deseille pourrait bien indiquer, symboliquement, que l'orthodoxie occidentale a vécue ; que si elle ne disparaîtra probablement pas, du moins sera-t-elle réduite à n'être plus qu'une anecdote, un trait mineur dans le paysage religieux français. Comme nous l'avons dit plus haut, ce n'est pas un argument théologique en soi, c'est à peine un argument culturel ; mais dans le même temps, il est permis de penser que les échecs successifs des tentatives de construire une orthodoxie française indiquent ainsi qu'une telle tâche, assurément noble et généreuse, ne conduit guère qu'à l'impasse, ou du moins à une réalité toute relative, peu visible et peu féconde.

Cependant, il est un point tout à fait fondamental que nous retiendrons, une leçon essentielle sur le plan liturgique : ces chrétiens orthodoxes francophones ont effectué un énorme travail d'adaptation de leur répertoire musical et liturgique à la langue française (voire du nôtre, puisque les Kovalevsky ont abondamment puisé dans le patrimoine latin pour bâtir leur liturgie). En cela, ils nous montrent un chemin que nous gagnerions à emprunter, qui contribuerait à vivifier une liturgie romaine par trop divisée en France, entre le mépris pour pour la tradition latine d'une part, et l'absolutisation d'une forme liturgique ancienne, réservée de facto à un petit nombre d'initiés d'autre part. Ce point est si important qu'il fera l'objet d'un nouvel article.

Les patriarches orientaux autour du Pontife Romain (émérite). L'Eglise catholique, tout simplement.

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