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Réflexions catholiques de Socrate d'Aquin.

Blog consacré à des réflexions sur l'Eglise catholique et tout ce qui s'y rattache. Je ne me prétend ni "conservateur" ni "progressiste", mais seulement un humble catholique, qui espère, par ce blog, apporter matière à réfléchir sur l'Eglise.

Prière universelle et lumière de l'Orient

Un diacre russe-orthodoxe. Classe non ? Bon, gardez-le dans un coin de votre tête, on revient à l'Orient sous peu. Promis. Mais d'abord, lisez l'article.

Un diacre russe-orthodoxe. Classe non ? Bon, gardez-le dans un coin de votre tête, on revient à l'Orient sous peu. Promis. Mais d'abord, lisez l'article.

Vous êtes à la Messe, vous venez de finir la récitation (longue et ennuyeuse) du Symbole des Apôtres (à moins que votre curé ne se soit souvenu par miracle qu'il vaut mieux prendre le Symbole de Nicée-Constantinople, plus traditionnel), vous vous préparez mentalement à supporter l'ultime épreuve avant la venue du Seigneur à l'autel : la prière universelle.

Sur ce, la fête commence. Avec un « entends nos prières, entends nos voix, entends nos prières monter vers toi » en guise de refrain, les fidèles ont le privilège d'assister à un joyeux défilé d'enfants et de gentilles « dadames » qui présentent des intentions ressemblant à ceci (à peu de choses près, ces intentions étant oubliées dans la minute) : « Jésus, prends pitié des pauvres, du monde entier et de notre assemblée dominicale et fais de nous des témoins de ta gentillesse pour un monde plus fraternel et plus ouvert à l'altérité ». Quand à vous, pauvre catho de base, vous devez attendre et chanter avec tout le monde, comme la joyeuse chantre de soixante piges vous l'indique si joyeusement, moulinets du bras à l'appui.

Et lorsqu'on se souvient enfin qu'il y a l'offertoire à effectuer (c'est-à-dire le moment de la quête – prétexte mercantile mais tout de même bien utile pour que le Sacrifice puisse avoir lieu), tout en glissant un billet chèrement gagné dans un panier colorié par les enfants du catéchisme, vous vous chuchotez intérieurement « plus jamais ça ! ». Comme on vous comprend.

Plus jamais ça ! À moins que...

 

Soyons honnête, la prière universelle, c'est un peu comme une piqûre : un mauvais moment à passer. La seule différence, c'est que dans le cas de la piqûre, vous savez à peu près à quoi ça sert. Alors que la prière universelle... on ne voit pas très bien l'utilité d'entendre « ça ».

Bien entendu, je ne mets pas en doute la bonne volonté des personnes qui composent les intentions de cette prière ; mais outre la bonne dose d'idéologie qui l'infeste bien trop souvent, il est permis de se demander si tout ceci est bien utile et surtout, bien liturgique.

Mais alors, pourquoi Vatican II aurait-il demandé ceci :

La « prière commune », ou « prière des fidèles » (oratio fidelium), sera rétablie après l’évangile et l’homélie, surtout les dimanches et fêtes de précepte, afin qu’avec la participation du peuple, on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui détiennent l’autorité publique, pour ceux qui sont accablés de diverses détresses, et pour tous les hommes et le salut du monde entier [39].


De deux choses l'une : soit Vatican II a demandé quelque chose de mauvais, pour saboter la liturgie (thèse encore très répandue)... soit il s'agit d'autre chose.

Mais tout d'abord, on nous parle de « rétablir » la prière des fidèles. Il y en avait donc une ? Bingo ! L'origine de ce rite vient de S. Paul qui dit

Avant tout, j'exhorte donc à faire des supplications, des prières, des requêtes, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que nous puissions mener une vie calme et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

Cette prière, courante dans le rit romain, fut progressivement abandonnée à la fin du Moyen-Age ; ainsi, le Concile de Trente ne la mentionne tout simplement pas. Elle demeure cependant au cœur de la Liturgie de la Passion du Seigneur (ou Messe des présanctifiés) du Vendredi Saint, avec une grande litanie de prière pour diverses intentions. Jusqu'à Vatican II, où elle fut, comme on vient de le voir, restaurée.

Mais cela ne nous dit pas comment cette prière doit se faire. Même au Vatican, on a droit à un défilé de fidèles laïcs à l'ambon, pour dire des intentions en différentes langues. Pratique très belle mais peu liturgique. Alors ?

Une réponse se trouve peut-être dans l'étude de la liturgie orientale ; et plus précisément, de la liturgie byzantine, pratiquée principalement par les chrétiens dits orthodoxes, mais aussi par leurs frères grecs-catholiques (chrétiens orientaux en communion avec le Pape). Comme le disait en effet Dom Guy-Marie Oury, moine de Solesmes, « avant de rien affirmer en matière de liturgie, il est de bonne méthode de consulter la pratique des Églises qui ont une foi intègre en l’eucharistie et n’ont jamais subi l’influence de la Réforme protestante ». Ce grand liturge, auteur de quelques-uns des meilleurs commentaires sur la restauration liturgique, nous indique là une méthode que nous nous empressons de suivre.

Orientale Lumen

 

Dans le rit byzantin, il existe une prière équivalente à la prière universelle, appelée « litanie » qui revient même plusieurs fois au cours de la Divine Liturgie. Alors je ne vais pas évoquer ici le détail de chacune de ces litanies, ce serait trop long ; concentrons-nous plutôt sur ce qu'il y a de semblable dans ces litanies, leur commune structure. Pour cela, nous examinerons plus particulièrement la première de ces litanies, nommée « grande litanie de paix », qui ouvre la Divine Liturgie.

À l'invitation du diacre (« En paix, prions le Seigneur »), le chœur entame une série de « Kyrie eleison » (Seigneur, ayez pitié), entrecoupés d'intentions de prières chantées par le diacre et achevées par la même invitation : « prions le Seigneur ». A l'issue de cette litanie, le prêtre effectue une prière s'adressant directement à Dieu pour le supplier d'exaucer ces prières.

Et maintenant, écoutez ce que cela donne (en français, par le Chœur d'hommes de Chaillot) :

Quelle classe n'est-ce pas ?

Passons maintenant à une poignée de remarques :

  • Le diacre dirige la prière.

  • Il ne fait que donner des intentions, les fidèles se chargeant de la prière proprement dite.

  • Les intentions demeurent toujours les mêmes (seule la « litanie ardente » qui suit la proclamation de l'Évangile admet quelques intentions particulières, notamment pour les défunts).

  • Comme tout acte liturgique solennel qui se respecte, cette litanie est chantée.

Eh bien tous ces éléments se retrouvent dans la prière universelle romaine, qui n'est rien d'autre qu'une litanie de prières pour les intentions de l'Église ! En tous cas dans les prières suggérées par l'Église dans le Missel romain de 2002.

Vous ne me croyez pas ? Voici le texte de la première « formule générale » de prière proposée par l'Église pour ses fidèles :

1. FORMULA GENERALIS, I

Admonitio sacerdotis : Ad Deum Patrem omnipoténtem, qui vult omnes hómines salvos fíeri et ad agnitiónem veritátis veníre, tota mentis nostrae, fratres caríssimi, dirigátur orátio.

Monition du Prêtre : Frères très chers, que chaque prière de notre cœur soit dirigée Vers Dieu le Père Tout-Puissant, car c'est Sa Volonté que toute l'humanité soit sauvée et parvienne à la plénitude de la Vérité

Intentiones :

1. Pro Ecclésia sancta Dei; ut eam Dóminus custodíre et fovére dignétur, Dóminum deprecémur.

R. Praesta, omnípotens Deus.

Intentions :

1. Pour la Sainte Église de Dieu ; afin que le Seigneur, daigne la garder et la préserver, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

2. Pro totíus orbis pópulis; ut inter eos Dóminus concórdiam serváre dignétur, Dóminum deprecémur.

R. Praesta, omnípotens Deus.

2. Pour tous les peuples de la terre ; afin que le Seigneur daigne préserver leur concorde, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

3. Pro ómnibus qui váriis premúntur necessitátibus; ut omnes Dóminus subleváre dignétur, Dóminum deprecémur.

R. Praesta, omnípotens Deus.

3. Pour tous ceux qui sont accablés par toutes sortes de nécessités ; afin que le Seigneur daigne leur accorder le réconfort, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

4. Pro nobismetípsis ac pro nostra communitáte; ut nos omnes Dóminus hóstiam sibi acceptábilem admíttere dignétur, Dóminum deprecémur.

R. Praesta, omnípotens Deus.

4. Pour nous tous et pour toute notre communauté ; afin que le Seigneur daigne nous recevoir en un sacrifice qui Lui soit acceptable, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

Oratio sacerdotis : Deus, refúgium nostrum et virtus, adésto piis Ecclésiae tuae précibus, auctor ipse pietátis, et praesta, ut, quod fidéliter pétimus, efficáciter consequámur. Per Christum Dóminum nostrum.

R. Amen.

Prière du Prêtre : O Dieu, notre refuge et notre force, écoute les prières de Ton Église, car c'est de Toi que vient sa piété ; et accorde-nous de vraiment recevoir ce que nous demandons dans la foi. Par le Christ, notre Seigneur.

R. Amen.

NB : ce Missel n'étant pas traduit à ce jour (mais cela ne devrait pas tarder), la traduction française est de mon cru.

Et maintenant, imaginez cela chanté par un diacre...

Pour vous convaincre que c'est tout à fait possible, voici encore deux choses. D'abord, un petit texte méconnu, d'obscure origine et de contenu étrange : l'Institution générale du missel romain (Instituto Generalis Missale Romanum) :

 

Oratio universalis

69.

In oratione universali, seu oratione fidelium, populus, verbo Dei in fide suscepto quodammodo respondet et, sui sacerdotii baptismalis munus exercens, preces Deo offert pro salute omnium. Expedit ut huiusmodi oratio in Missis cum populo de more habeatur, ita ut obsecrationes fiant pro sancta Ecclesia, pro iis qui in potestate nos regunt, pro iis qui variis premuntur necessitatibus, ac pro omnibus hominibus totiusque mundi salute.

70.

Intentionum series de more sint :

  1. pro necessitatibus Ecclesiæ,

  2. pro rem publicam moderantibus et salute totius mundi,

  3. pro oppressis quacumque

    difficultate,

  4. pro communitate locali.

Attamen in celebratione aliqua particulari, uti Confirmatione, Matrimonio, Exsequiis, ordo intentionum pressius respicere potest particularem occasionem.

71.

Est sacerdotis celebrantis precationem a sede moderari. Ipse eam brevi monitione introducit, qua fideles ad orandum invitat, ipsamque oratione concludit. Intentiones quæ proponuntur sint sobriæ, sapienti libertate et paucis verbis compositæ et precationem universæ communitatis exprimant.

Proferuntur ex ambone aut ex alio loco convenienti, a diacono vel a cantore vel a lectore, vel a fideli laico.

Populus vero stans precationem suam exprimit sive invocatione communi post singulas intentiones prolatas, sive orando sub silentio.

Prière universelle

69.

Dans la prière universelle, qui est la prière des fidèles, le peuple répond en quelque sorte à la parole de Dieu reçue dans la foi et, exerçant la fonction de son sacerdoce baptismal, présente à Dieu des prières pour le salut de tous. Il convient que cette prière ait lieu habituellement aux Messes avec peuple, afin que l’on fasse des supplications pour la sainte Église, pour les pouvoirs qui nous gouvernent, pour ceux qui sont accablés par divers besoins, ainsi que pour tous les hommes et pour le salut du monde entier.

70.

Les intentions sont habituellement :

  1. pour les besoins de l’Église,

  2. pour les dirigeants des affaires publiques et le salut du monde entier,

  3. pour ceux qui sont accablés par toute sorte de difficultés,

  4. pour la communauté locale.

Toutefois, dans une célébration particulière, comme une confirmation, un mariage ou des obsèques, la liste d’intentions pourra s’appliquer plus exactement à cette occasion particulière.

71.

C’est le prêtre célébrant qui, du siège, dirige la prière. Il l’introduit par une brève monition qui invite les fidèles à prier, et il la conclut par une oraison. Les intentions proposées doivent être d’une sobre et sage simplicité comportant peu de mots, et exprimant la supplication de toute la communauté.

Elles sont proférées d’ordinaire à l’ambon, ou à un autre lieu approprié, par le diacre, ou par le chantre ou le lecteur, ou par un fidèle laïc.

Le peuple debout exprime sa supplication, soit par une invocation commune après chacune des intentions, soit par la prière silencieuse. 

NB : Cette fois, pour la traduction, il faudra remercier l'excellent site Ceremoniaire.net. Comment ça vous ne le connaissez pas ?

On remarquera d'abord que c'est au diacre qu'il revient de proclamer la prière (la première option citée par le missel est la plupart du temps l'option préférable), que les intentions doivent être sobres (ce qui n'exclut pas d'utiliser les prières issues du missel), que l'adaptation si ressassée n'est prévue que dans certaines circonstances, etc. Un peu comme dans la liturgie byzantine...

Deuxième chose (promis, c'est la dernière!), voici ce que cela donne à la messe (les deux premières minutes de la vidéo qui suit montrent une litanie de prières correctement effectuée) :

Maintenant que vous avez compris... au travail ! Demandez à votre diacre de proclamer la prière des fidèles, faites chanter par votre paroisse des répons acceptables (Kyrie eleison par exemple)... bref, battez-vous ! Et merci à nos frères orientaux, sans lesquels le sens de l'une des plus belles restaurations de notre liturgie romaine nous resterait incompréhensible

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J
Merci pour ce très excellent article !! en effet, la Prière Universelle est souvent le moment "où le mât baisse" dans nos liturgies romaines... cependant je crois que la difficulté est de faire accepter aux équipes liturgiques (je parle ici de ma paroisse) d'arrêter de déployer à chaque préparation de messe tous les artifices possibles et imaginables pour "renouveler" la PU et de juste s'occuper d'autres choses... Je mets en lien un office des vêpres chez les Dominicains de Toulouse où la PU (qui n'en est pas vraiment une, je l'accorde) est chantée : https://www.youtube.com/watch?v=EiuXAYyK6eQ&ab_channel=ProvincedominicainedeToulouse (à partir de 24'52'')
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